dix-huit mois de recherche-action au sein d’une résidence sociale, artistique et temporaire à Strasbourg

26 ¦ 09 ¦ 2020
Habitat intercalaire

Hébergements d'urgence à Strasbourg : l'expertise sociale des résident·e·s

26 ¦ 09 ¦ 2020 · Habitat intercalaire Squat vs Odylus
En questionnement Les distinctions entre les différents lieux d’hébergement dits d’urgence à Strasbourg
Illustration Cabane réalisée par les enfants – Cour de l’Odylus, 19 juin 2020
Auteur·e·s Paul, membre d’Horizome, présent à l’Odylus d’avril 2020 à octobre 2020 · Thomas, membre d'Horizome, référent concierge du projet Odylus d'avril 2019 à octobre 2020 · Guy, H., A., Jérôme, Yann, résident·e·s de l’Odylus.

↘ Afin de transmettre la parole des habitant·e·s de l’Odylus, et de tenter de comprendre leur quotidien et les problématiques auxquelles iels étaient confronté·e·s, des temps de discussions collectives (organisés ou informels) ont été enregistrés avec l’accord des résident·e·s. Ces conversations (avec les résident·e·s, les artistes et les membres des équipes associatives) furent l’occasion d'échanger les points de vue autour de la vie du lieu et de son fonctionnement. Des questions relatives à différents thèmes (le logement temporaire, la cohabitation, le rôle des équipes associatives, les résidences d’artistes…) étaient inscrites sur des cartes qu’il fallait piocher, ce qui permettait d’ouvrir et d’alimenter le dialogue. ↙

« L’Odylus, j’ai pas connu mieux… »

« J'en ai fait des structures en vingt ans et en toute honnêteté, l'endroit j'ai pas connu mieux, le personnel, pour des gens qui sont dans une situation un peu inconfortable comme moi, sont des gens très bien... Le personnel dans la totalité sont impeccables, agréables, sympathiques et serviables… Tout ce qu'on veut quoi. Et le silence, le calme et l'ambiance aussi. Et ce que le personnel apporte ici… c'est très riche, pour nous c'est très important… Les gens, ils peuvent aller que mieux ici... » — Guy, novembre 2019 → émission radio 2 du collectif Noun : → https://hearthis.at/radio-quetsch/nous-ne-savons-pas-2/

Un lieu d’hébergement précédent : l’hôpital Lyautey géré par l’association l’Antenne

H. (résident) Quand on est arrivé ici la première fois on s’est un peu perdu en fait. On ne connaissait pas tout ce qui est social, et logement, et comment se reloger après derrière tout ça… Parce que subitement on a perdu notre logement et on s’est retrouvé là en fait. C’est la première fois qu’on faisait appel au 115. On a pas l’expérience en fait de… Mais après euh… Quand on est arrivé ici on a été pris en charge par le 115 et puis après on a dormi deux mois, on est resté deux mois à l’hôpital Lyautey, je sais pas si tu connais ? Paul (Horizome) Non… H. C’est une autre structure en fait. Différente de celle-ci. Et là-bas en fait c’est une espèce de dortoir où on ramène toutes les familles en vrac en fait. Mais on a quand même une chambre. Mais après y’a pas d’accompagnement, de suivi, parce qu’il y a trop de monde en fait. Et peu de gens qui s’occupent des personnes. C’est une autre association en fait. Thomas (Horizome) J’arrive pas à situer non plus où c’est… H. Lyautey. À l’hôpital Lyautey. Mais y’a une association qui s’appelle… L’Antenne, qui gère en fait. Et ils sont débordés. Parce qu’on ramène toutes les nuits des personnes en fait. Paul Et du coup là-bas c’est… Tu dis c’est un dortoir mais y’a quand même plus… H. Y’a des chambres. Oui, oui, y’a des chambres et les toilettes sont partagées mais y’a beaucoup trop de monde en fait. Oui oui… Paul Et vous aviez une chambre pour vous quatre du coup là-bas ? H. On avait une chambre oui. Et les toilettes et cuisine étaient en commun en fait. Et… Ça nous a paru un peu bizarre en fait parce que comme c’est la première fois qu’on se retrouvait dans cette situation-là… Mais après je trouve qu’ici c’est beaucoup mieux par rapport à l’organisation et… enfin on est trop content en fait de, d’avoir une place ici parce que c’est différent de là-bas, parce qu’on a connu un peu plus difficile et là c’est plus… Thomas Et qu’est-ce qui est différent ? H. En fait déjà la chambre elle est beaucoup mieux parce qu’il y a les toilettes et tout ça dedans. Parce que là-bas les toilettes c’était en commun et tout c’était le bordel… [rires] Thomas Parce que vous avez eu de la chance d’avoir une chambre avec… Comme vous êtes une famille vous avez une chambre avec sanitaires mais y’a d’autres qui l’ont pas. H. Ah, d’accord. Thomas En fonction des étages ils ont pas tous… J’crois qu’c’est au deuxième par exemple, c’est douche et toilettes sur le palier. → transcription de l’entretien du 5 août 2020

L’Escale, un foyer d’hébergement sous conditions

Paul (Horizome) Avant d’être ici, tu étais… A. (résidente) J’étais à L’Escale, ils m’ont hébergé là-bas, et c’est ça… Paul Et avant, en fait quand tu es arrivée en France, tu es allée à L’Escale directement ? A. Après être arrivée en France, je suis passée par l’hôpital. J’y étais un mois. Après l’hôpital, j’ai été directement redirigée à L’Escale. À L’Escale j’ai fait une année, et comme je ne parlais pas français à ce moment-là, je me suis dit que si je sors dans la rue, on va me faire du mal. Donc je suis restée, j’ai vu des choses… j’ai supporté pendant un an. Tu ne pars pas comme tu veux, tu ne sors pas comme tu veux… Thomas (Horizome) Il y a des couvre-feux c’est ça ? A. Oui, il y a des couvre-feux, c’est ça. L’Escale il y a beaucoup de gens là-bas qui sont malades. Et on mange tous ensemble. On mange le soir ensemble, à midi ensemble, le petit-déjeuner chacun va descendre et prendre son petit-déjeuner dans la cuisine. Comme notre cuisine, la cuisine en-bas là. Chacun va descendre et il y a les frigos, il y a tout, et tu descends et tu prends ton lait, si tu veux du café un verre et ils vont faire un café. Et après quand on mange, on fait la vaisselle… Paul Donc c’est à disposition en fait ? A. Oui, et on fait le ménage. Paul Les gens descendent, et puis il y a une cuisine et il y a des produits et ils peuvent se servir ? Et après ils rangent… A. Oui, il y a tout et s’il n’y a pas quelque-chose il y a aussi les gens qui travaillent dans les bureaux. La nuit, c’est le veilleur qui travaille. Thomas Il y a un veilleur toute la nuit ? A. Oui, et le matin tôt, parmi les aides-soignantes, ou sociales, il y a quelqu’un qui va revenir. Thomas Prendre le relais, ok… A. Et après un an là-bas, ils m’ont dit de sortir d’ici. Je leur ai dit que je connais rien ici, je ne sais pas où aller, mais ils me disent que je vais aller dans la rue, qu’il y a beaucoup de monde dans la rue, que je vais devoir rester avec les gens. Et quand je suis partie de là-bas, j’ai commencé à faire le 115. Un jour je suis passée à Pluriel. Thomas À quoi ? A. Pluriel, c’est une école. Thomas C’est pour apprendre quoi ? A. Pour apprendre le français. Je suis allée là-bas mais je pleurais tout le temps, je ne savais pas où rentrer ensuite. Après chez Pluriel, la dame a appelé un monsieur, et m’a dit qu’il allait un peu m’aider. Et le monsieur me dit qu’il y a une dame parfois, une sœur religieuse qui héberge parfois des gens. Je lui demande si elle peut m’héberger pour une nuit. Il l’a appelée et lui a expliqué ma situation. Elle m’a hébergée une nuit, et quand elle a vu que je suis musulmane, elle m’a préparé du riz, du poulet, des bonnes choses. Paul Mais la nuit d’avant tu l’avais passée à L’Escale c’est ça ? A. Une année je suis restée à L’Escale. Paul Et après ? A. Après là je n’ai rien compris, la dame de L’Escale m’a dit : « Allez, vas-y, vous devez chercher du travail ! Vous devez chercher du bénévolat, vous ne pouvez pas rester comme ça. » Et moi je suis malade. Tout à coup elle m’a dit qu’au bout de sept jours, si je ne trouve pas de bénévolat, elle me mettra dehors. Et donc j’ai eu peur. Je ne sais pas, comme je suis aujourd’hui, si je sors et reste dans la rue, il n’y a rien pour moi. Thomas Tu as passé du temps dans la rue déjà ici ? A. Oui, j’ai passé du temps à la rue, mais j’avais peur de la rue quand j’étais à L’Escale. J’ai peur de la rue. Je crois que dans la rue je risque de rencontrer des bandits. Ils vont me taper, ils vont me faire n’importe quoi. Je ne sais pas je pense que la rue c’est comme ça. Et donc elle m’a dit que si dans sept jours je ne trouvais pas de bénévolat, elle me demandera de partir d’ici. Je suis partie en courant, je pleurais et je suis allée à Pluriel. J’ai vu la directrice et je lui ai dit qu’il faut m’aider pour chercher du bénévolat. Et il y a un monsieur qui s’appelle euh… Ohlala j’ai oublié son nom, un monsieur algérien. Il m’a dit qu’il allait chercher du bénévolat pour moi, et tout de suite ils m’ont cherché du bénévolat à Abribus. Et le monsieur a pris sa voiture et m’a amenée chez l’association pour les Restos du Cœur. Là-bas ils m’ont enregistré. Je travaillais alors une journée à Abribus et deux jours aux Restos du Cœur. Paul Donc ça c’était des missions de bénévolat qui étaient essentielles pour rester à L’Escale ? A. C’était forcé, pour rester à l’Escale, de trouver un bénévolat. Paul Donc du coup tu en as trouvé un… ? A. Au lieu de un, j’ai trouvé deux bénévolats. Je faisais un jour, le samedi, à l’Abribus, et deux jours aux Restos du Cœur. Thomas D’accord... A. Après à Abribus je suis restée une année. J’y ai trouvé des gens sympas là-bas, les gens qui travaillent sont gentils. Alors qu’aux Restos du Cœur, il y a des racistes, les vieux là-bas. Paul Ah ouais ? Thomas Qui y travaillent ? A. Oui, ils voyaient comme je suis grande et ne pensaient pas que je suis malade. « A. s’il vous plaît faites ça, A. s’il vous plaît faites ça, A. s’il vous plaît faites ça ! » Les plats, ils les mettaient comme ça ! Combien de kilos ils me demandaient de prendre ? Moi je l’ai dit à la cheffe et lui ai dit que je fais ce que je peux. Je ne peux pas travailler plus que mon dos, moi je suis malade. Elle m’a dit : « On est tous malades ici et on travaille ! » Et après je lui ai dit : « Madame s’il vous plaît, moi ici je ne suis pas payée, je travaille en bénévolat, mais comment je peux travailler plus ? ». Je fais ce que je peux, je travaille… Et après elle m’a dit : « C’est comme ça, si tu veux tu peux rester, si tu ne veux pas, tu peux partir. » Moi je me suis énervée, j’ai pris mon sac, j’ai dit au revoir. Paul Et tu es partie… A. Oui je suis partie, j’ai dit : « Comment ça ?! Je travaille sans argent, et ce que je peux je travaille ! » Et il changeait tous les jours : aujourd’hui tu fais la plonge, aujourd’hui tu fais à manger, aujourd’hui tu vas faire le ménage. C’était comme ça ! Paul C’était trop ? A. Oui c’était trop trop trop les Restos du Cœur ! Tu n’as pas le temps, tu travailles comme une machine. Et avec tout ça, il y a des racistes. Et après quand on vient, comme je n’avais rien, et c’est leur maison, il entre il prend comme il veut, il n’y avait personne qui me disait que je peux prendre quelque-chose aussi. Et moi je n’avais rien à manger, et je suis passée à l’Abribus, et j’ai trouvé des gens gentils là-bas. → transcription de l’entretien du 12 août 2020

L’arrivée à l’Odylus

Paul (Horizome) Comment t’as trouvé une place à l’Odylus ici ? Comment t’es arrivée jusqu’ici ? A. J’y suis arrivée à l’aide de mon assistant, à l’aide de la mairie aussi, c’est bien. Ils m’ont bien aidée. Grâce à leur aide. Ils appelaient tous les jours le SIAO (Service Intégré de l’Accueil et de l’Orientation), le SIAO, le SIAO, après ils m’ont amenée ici, il a trouvé la place ici pour moi. Si quelqu’un il n’a pas d’argent on ne peut pas l’héberger parce que tous les gens paient et moi je n’ai pas de revenus. Et c’est ça, quand je suis venue je pensais qu’ils allaient me demander de l’argent. Quand j’ai rencontré Monsieur R. j’ai dit que je n’avais pas de travail, j’ai travaillé quinze jours seulement, «Et si vous voulez, je peux essayer... Non je n’ai pas d’argent, je n’ai pas de revenu… Je n’ai pas d’argent, comme ça.» Monsieur R. il m’a dit «C’est pas grave, tu vas rester. Si tu as quelque chose, si tu trouves du travail tu vas cotiser, et si tu n’as pas c’est pas grave». J’étais à l’aise le jour où il m’a dit ça, j’ai dit «Ooooh hamdoulilah, ça aussi c’est bien». Moi je travaille pas, ils m’ont donné une chambre comme ça je suis restée. Paul D’accord. A. C’est beaucoup, non ? Paul Oui c’est une longue histoire. Et qu’est-ce que tu retiens de bon ici ? Qu’est-ce que tu aimes ici ? A. Je suis avec tous les gens qui travaillent ici dans des bureaux ici, maintenant ils me connaissent, ils se comportent bien avec moi. Les jeunes travailleurs ici, le chef R., tous les gens qui travaillent ici, qui font partie d’ici, tout ça, ils sont gentils avec moi. Paul Ok. Tu t’entends bien avec les équipes ? A. Oui, oui, oui, oui, oui, les équipes là c’est très sympa. J’ai pas vu beaucoup de gens comme ça, très très sympas. Je suis venue ici un jour ils ont jamais dit non. Si je viens au bureau, je demande quelque chose. L’assistante sociale aussi elle est venue ici, je lui ai dit que maintenant c’est bien, pour moi ici. → transcription de l’entretien du 12 août 2020

Deux foyers gérés par la mairie : les Remparts et Fritz Kiener

Thomas (Horizome) Par rapport aux autres logements que vous avez connus, niveau rencontres, comment ça se passait les rencontres avec les voisins ? Ou comment ça se passait pas ? Jérôme (résident) Ça dépend, ça dépend. Thomas J’parle pas forcément du début d’ici. J’parle dans d’autres hébergements en fait. Jérôme En fait du veux parler des rencontres éducateur-résident, ou résident-résident ? C’est différent. Thomas Là moi j’avais en tête, entre résidents mais ça peut être les deux. Vu que par exemple nous on est pas résident et on fait quand même partie du groupe de rencontres, enfin… Nous c’était un peu notre rôle aussi dans la médiation. Jérome Entre résidents par exemple, on va dire que moi Fritz Kiener, j’avais refusé pendant pas mal d’années d’y aller. Parce ce que j’y étais déjà allé deux ou trois fois pour une nuit et c’était le gros bordel quoi, c’était mal géré. Et un jour j’ai pété une pile, j’en pouvais plus, la mairie m’avait pris mes affaires, tout le bordel, toile de tente, tout. Thomas Ah ouais ? Jérôme Ouais, donc j’ai rencontré bah la maraude de rue ce soir-là, J. et C. Et c’est moi qui leur ai demandé, parce que pendant trois ans ils m’ont dit «Mais viens te poser au moins une semaine, te reposer bien…» Et ce jour-là je leur ai demandé s'ils avaient un week-end pour moi, donc trois jours à… Et en fait ils ont pas voulu que j’parte donc j’suis resté là-bas mais j’restais tout seul dans mon coin en fait. Parce que là-bas ils ont une petite bibliothèque, un peu comme ici et le soir je restais à ma table en train de lire et voilà. Et en fait, c’est un résident de là-bas M., il est venu me voir et il a commencé à taper la discute avec moi, et après il m’a présenté à ses potes à lui et après euh… On a des bons liens là-bas. De très bons. D’ailleurs j’le vois toujours depuis euh… Depuis très, très longtemps quoi, donc euh… En fait, dans tous les foyers que j’ai fait, y’avait des bons liens et y’avait des gens que tu calcules pas ! Si ! T’arrives, tu dis «bonsoir» et voilà quoi. Yann (résident) Ça c’est la vie Jérôme. Jérôme Oui mais il me parle par rapport aux foyers que j’ai fait. Yann Moi j’pense que c’est à l’image de notre société le foyer. Le foyer c’est une micro-société… Jérôme Oui mais bon… Après tout dépend de la gestion du foyer aussi. Yann Ah bah, c’est sûr que… Jérôme Il voulait savoir aussi par rapport à la gestion des foyers… Thomas Le fonctionnement, par exemple la prise de décision, est-ce que y’en a d’autres… Parce ce que ici, finalement, j’pense qu’on peut le dire, on n’est pas forcément arrivé à aller euh… Typiquement les CVC (Chauffage, Ventilation et Climatisation) qui devaient se mettre en place ils ont jamais eu lieu, y’a pas eu vraiment de… On n’est pas arrivé à poser, par exemple pour le rez-de-chaussée, des règles communes, des choses comme ça. La responsabilité des clefs, tout le monde avait un peu peur, parce que peut-être y’avait trop de monde… Jérôme Mais là-bas y’avait euh… Bah ils faisaient rien, là maintenant ça s’est arrangé. J’sais que les deux foyers de la mairie, Fritz Kiener et les Remparts, maintenant ils font des sorties balades tous les mardis, football en salle le vendredi, boxe-training, t’as des matchs de hockeys à voir, tu t’inscris, c’est gratuit tu vois. Donc maintenant y’a des sorties proposées, avant y’avait rien, ils te lâchaient à 7h30 du matin et tu pouvais rentrer que le soir à 5h. Donc après y’a un truc que j’comprends pas, que j’ai jamais compris d’ailleurs, c’est que les Remparts et Fritz Kiener, c’est la même directrice, les deux appartiennent au CCAS (Centre Communal d’Action Social) mais ils ont un fonctionnement carrément différent en fait. Et y’a des trucs que j’trouve illogiques. Par exemple t’es logé aux Remparts, tu dois faire une machine à laver aux Remparts, ils t’obligent à aller au Fritz Kiener pour acheter un bon, alors que le bon ils te marquent juste ton nom dessus, payer un euro… Thomas Pour faire la machine aux Remparts ?... Jérôme Et pour faire la machine aux Remparts, voilà. Donc c’est du foutage de gueule ! J’trouve ça stupide. Et puis même, y’a des foyers, ils t’infantilisent. C’est à 22h, faut que tu sois rentré, que tu… C’est pas ça le truc quoi en fait. Ici oui, ici c’est le paradis à comparer. Thomas Par rapport aux horaires en tout cas… Jérôme Bah, les horaires c’est que toute la journée ils te lâchaient. Même la journée, y’a des hivers il faisait moins dix, ils te lâchaient quoi… Ils te laissent dehors. En gros ils t’offraient juste le soir de quoi dormir dans un dortoir à huit personnes. Après ouais, c’est chaud, c’est… Thomas On a un peu entamé la discussion des relations, la rencontre avec les résidents et toi tu me disais que tu restais plutôt dans ton coin à Fritz Kiener… Jérôme Au début. Thomas C’est parce que y’avait pas tellement d’espaces de rencontre sur place donc toi tu sortais pendant la journée vu que personne restait pendant la journée sur place. Jérôme Voilà, c’est ça, c’est ça. Donc chacun partait dans son coin tu vois. Thomas Et y’a pas des groupes qui restaient ensemble ? Jérôme Bah si ! Mais moi j’restais pas, squatter toute la journée dans un centre d’accueil ça m’intéressait pas. J’préférais squatter la médiathèque tu vois, j’allais à Malraux, voilà. J’allais sur internet, j’lisais des bouquins, et voilà j’étais tranquille quoi. Mais le soir on se retrouvait tous, voilà. On fumait nos petits bédos ensemble, on délirait jusqu’à 22h-23h, donc voilà c’était tranquille quoi. Et puis on était dans le même dortoir, c’était tout le même groupe dans le même dortoir donc on parlait jusqu’à 2h du matin, on s’tapait des délires tu vois. Mais c’était cool, c’était sympa. Après, aux Remparts c’était pas la même. Aux Remparts, j’étais dans une chambre, celle-là c’était une chambre de quatre, mais j’étais avec des gens j’comprenais pas leur langue et donc on s’parlait pas quoi. Moi le soir, j’arrivais là-bas j’me posais devant la télé et après j’allais me coucher et le lendemain matin j’repartais quoi. En gros c’était ça. Parce que c’est là-bas qu’j’ai connu Hocine, y’avait qu’avec lui à peu près que j’parlais, et F. et E. Après ouais, j’commençais à parler avec eux mais on a jamais passé des journées ensemble, c’était chacun un petit peu de son côté. Eux ils allaient à Horizon Amitié, moi j’allais du côté des Halles donc chacun son petit… Après c’est bien aussi ! T’es tout le tout ensemble… Thomas T’as l’impression que y’a un plus l’effet de se marcher dessus ici ? Jérôme Non, justement. Parce qu’ici, chacun fait ce qu’il veut. C’est ça l’avantage, tu rentres à l’heure que tu veux, tu sors à l’heure que tu veux. En fait, c’est plus une vie euh… ta propre vie quoi en fait. T’as ton rythme à toi, tu choisis, ton rythme il t’est pas imposé. Parce que là moi j’trouve ça imposé quoi, comme si on était des gamins, voilà il faut aller à l’école, tu pars à telle heure, il faut que tu sois à la maison à telle heure, il faut que tu… Et ça, j’appréciais pas trop le délire en fait. → transcription de la discussion collective du 13 août 2020

Les dérives de certains travailleurs sociaux

Jérôme Et après ouais j’sais pas, y’a des éducateurs ils ont pas à faire ce boulot-là, qu’ils changent de boulot tout de suite, ils servent à rien. Parce que y’en a qui te traitent vraiment comme de la merde quoi. Mais c’est un truc de fou ! Paul (Horizome) Dans ce cas pourquoi ils travaillent là-bas ?... Jérôme Bah oui ! Mais un jour moi j’me suis déjà pris la tête avec K. à Fritskinner et avec le vieux A. C’est parti en live quoi ! D. (résident) A. ? Avec la pipe là ? Jérôme Ouais ouais… D. Ah j’l’aime pas lui. Jérôme Ah lui, j’suis parti en live avec lui… D. K. (laisse transparaître un ressenti moyen), mais Q. (laisse transparaître un ressenti positif) … Jérôme Q. il est niquel. Comme aux Remparts, y’en a plein qui sont sympas et y’en a c’est des vrais connards, sérieusement. Paul Ok, nan ouais, ça existe hein. Jérôme Ouais mais normalement quand tu travailles dans le social, tu fais du social, j’suis désolé. Le principe c’est tu souris, tu te fous pas de la gueule du monde. Moi j’ai vu un éducateur, un bonhomme il est rentré un petit peu chaud à Fritz Kiener, le black qui dormait dans ma chambre, je me rappelle plus comment il s’appelle… Bref, j’me rappelle plus. Et euh… Un soir il lui dit «Ouais, tu peux danser comme tu faisais la dernière fois ?», bah le bonhomme il danse tu vois, il pensait pas qu’ils allaient se foutre de sa gueule tu vois. Et le bonhomme il l’a carrément filmé et il a envoyé la vidéo à ses potes et là j’l’ai insulté de tous les noms «Sale fils de chien, mais tu te prends pour qui ?». J’lui ai dit «Mais toi, j’vais convoquer ton directeur dès demain, c’est mort quoi !». Bah ça a rien fait, ça a pas bougé. J’ai parlé au directeur, il a dit «Ouais c’était une plaisanterie», «Mais tu te fous de la gueule d’un bonhomme qui est la rue grand ! ...Et t’es censé l’aider ! T’es travailleur social, t’es censé l’héberger, lui apporter confiance et sécurité dans le lieu et tu… » Mais j’ai dit «Mais non c’est pas possible !» Paul Et le directeur il a rien dit ? Jérôme Non ! Il a rien dit. Lui il était directeur par intérim et il s’occupait aussi des Remparts en fait. Et voilà… Et aux Remparts c’était pareil quoi en fait. T’en avais, ils te traitaient comme un chien. Pareil, t’avais des bons et t’avais vraiment connards. Moi ils savaient que je buvais. Tous les soirs ils me demandaient de fouiller mon sac ! Ils me demandaient même pas, ils me disaient «Ouvre ton sac.» Mais est-ce que ça te regarde ce que j’ai acheté ? Donc c’est du foutage de gueule, j’ai le droit à ma vie privée. Thomas Ils voulaient éviter quoi ? La drogue ? Jérôme L’alcool. Comme la meuf, j’lui ai dit «Le soir, j’ai le droit de sortir, descendre, fumer ma clope. Tu crois quoi ? Tu crois qu’les bières j’vais les monter ? J’les laisse en bas, j’les planque et voilà j’les bois en bas…» J’lui ai dit «Mais vous prenez vraiment les gens…» Et eux là-bas, ils ont fait pire encore ! J’ai un pote, il va pour prendre sa douche et il avait oublié son truc pour les cheveux, parce que c’est un africain donc il faut vraiment la bonne mousse, il faut… Et il revient, et il voit justement la même bonne femme en train d’ouvrir son placard. Il lui dit « Ouais, vous faites quoi ?», elle lui dit «Ouais on fait inspection des placards», il lui a dit «Mais madame, c’est avec le résident qu’vous devez le faire, c’est obligatoire qu’on soit là.» Paul Ouais… Jérôme Bah on est présent, c’est notre vie privée. On a un placard avec un cadenas c’est pas fait pour les chiens quoi. Et il lui a dit, il lui a dit «C’est bizarre hein, c’est juste au moment où j’suis parti à la douche que vous êtes venue vérifier !». Et H. il s’est fait volé un téléphone portable là-bas il pense que c’est elle aussi, moi à Fritz Kiener j’me suis fait voler un iBook 2, j’me suis fait volé un téléphone aussi. Voilà, ça fait chier quoi ! Et le pire c’est que le cadenas il est pas fracassé ! Donc tu dis, c’est obligé que ça soit quelqu’un qui ait la clef. Et y’a que deux personnes qui ont les clefs : les éducateurs et toi. Donc euh… Voilà quoi ! Paul C’est évident. Jérôme Et le problème c’est que quand t’oses leur dire un truc, ils disent «Bah écoute, si t’es pas content, tu peux prendre la porte, tu fais tes sacs et tu pars…» Et après tu peux faire quoi ? Tu vas aller porter plainte, tu vas… Après si tu portes plainte, t’es grillé au 115, parce qu’ils te grillent au 115. Dans tous les foyers ils disent «Lui, c’est bon, on le reprend plus », t’es sur la liste noire. Donc voilà ! Thomas Si tu portes plainte contre une équipe ? Jérôme Euh… Ouais ! Bah ils se connaissent tous entre eux et ils se soutiennent tu vois, donc euh… Et en général c’est pas contre l’équipe, c’est contre la structure que tu portes plainte directement. Tu portes pas plainte contre la personne directement, tu portes plainte contre la personne mais contre son directeur en même temps. Parce que le directeur c’est lui qui est juridiquement parlant responsable. → transcription de la discussion collective du 13 août 2020